[Parole d'auteur] Les amis, les grands-parents apportent aux enfants une vision du monde différente

Elle nous a reçu dans sa petite cuisine, « mon bureau » sourit-elle. Table jaune, café chaud et toute son attention pour une heure de conversation autour du lien entre transmission et littérature jeunesse.

Marie Desplechin

Vous avez créé au fil de votre oeuvre une galerie de personnages qui nous rappellent, nous, adultes, les questionnements qui étaient les nôtres quand nous étions enfants. Comment cultivez- vous cette authenticité ?

Disons que j’ai un souvenir très précis de ce que je ressentais à 9, 11, 15 ans. Et depuis j’ai toujours vécu entourée de jeunes. À cela, s’ajoute ma technique d’écrivaine adulte. En revanche, je ne peux pas écrire pour des enfants de 4 ans car je n’ai pas les souvenirs qui me permettent de leur raconter des histoires qui les toucheront. Mes personnages ont l’âge de mes lecteurs. Prenons l’exemple de ma petite sorcière, Verte. Elle a 9 ans. Un enfant de 7 ans pourrait lire le livre, mais il ne comprendrait pas ce que Verte peut ressentir. Idem pour mes personnages de 11, 15 ans…

Qui est-elle ?

Depuis 25 ans, Marie Desplechin écrit des romans pour enfants, adolescents et adultes. C’est en 1996 que vient le succès, avec Verte, l’histoire d’une petite sorcière qui se cherche - et se trouve auprès de sa grand-mère. En 2020, elle publie La capucine chez l’éditeur L’école des loisirs.

Et quelle est la place de la transmission dans votre démarche littéraire ?

Pour moi la transmission n’est pas un objectif en soi. J’écris pour raconter une histoire. Mais elle est là. Je transmets ma vision du monde, des gens, un certain nombre de valeurs aussi, que je le veuille ou non. Il y a d’ailleurs toute une tradition littéraire liée à la transmission. Prenez La Fontaine qui écrivait pour le Dauphin, G. Bruno et son Tour de France par deux enfants. À l’inverse, avec Tom Sawyer de Mark Twain ou les contes d’Andersen, on est dans une démarche purement littéraire.

 

À propos de vision du monde, comment la vôtre s’est-elle construite ?

J’ai eu la chance d’avoir une enfance heureuse, de vivre dans une maison ouverte sur le monde. Il y avait toujours des gens pour nous rendre visite. Mes parents nous ont emmenés très tôt dîner chez leurs amis, et nous avons surtout écouté ce qu’ils se disaient à table. Ma mère nous lisait beaucoup de choses très variées, par exemple le Père Ubu, qui est un personnage très drôle ; j’ai le souvenir de mon père nous lisant James et la grosse pêche de Roald Dahl en même temps que des textes pour adultes – ce qui est très important pour les enfants. Et puis il y avait le repas familial, la cuisine…

 

"J’écris pour raconter une histoire. Et toujours, la transmission est là."

 

Les parents sont donc le maillon essentiel de la transmission ?

Certainement pas ! Ils sont incontournables, bien sûr, mais ils sont avant tout une fonction pour les enfants. C’est pour cela que la relation est si dure pendant l’adolescence ! Comment aimer une fonction ? À l’âge adulte, on voit à nouveau les personnes qui se cachent derrière nos parents. Et ça va mieux. C’est pour cela que je crois que la famille doit être vue au sens le plus large. Les amis, les oncles, les grands-parents, les voisins, tous apportent aux enfants une vision du monde différente, et sans cette chape de la parentalité. D’ailleurs prenez les héros de la littérature jeunesse… Ils sont souvent orphelins ! Oliver, Rémi, James… Ou alors ils ne rêvent que de quitter leurs parents. C’est en s’ouvrant au monde que l’on découvre la vie. Et la littérature peut y contribuer.